NOVEMBRE 2018 FINANCE DURABLE : QUEL RÔLE POUR LE RÉGULATEUR ? FEUILLE DE ROUTE AMF amf-france.org Mot du Président L’émergence d’un modèle financier qui intègre mieux les enjeux de durabilité est une nécessité ; c’est en effet un enjeu vital tant pour la planète que pour la finance. Les besoins de financement pour assurer la transition vers un modèle économique qui assure la sauvegarde de notre environnement sont immenses. Si l’industrie financière ne démontre pas qu’elle est utile pour assurer cette transition, elle perdra une opportunité de se réconcilier avec nos concitoyens. Heureusement c’est désormais une tendance de fond du marché, que ce soit au niveau des entreprises, des intermédiaires financiers et des investisseurs. Les propositions de la Commission européenne offrent une chance à l’Europe de se doter d’un cadre novateur et ambitieux pour la finance durable, à la hauteur des risques et des enjeux identifiés. Elles doivent permettre d’accélérer la transformation de l’industrie financière et de conduire à des changements réels chez l’ensemble des acteurs. Le futur cadre européen doit capitaliser sur les efforts déjà menés et les bonnes pratiques identifiées sans rigidifier un marché qui évolue et progresse rapidement. Les acteurs français sont en avance par rapport aux pratiques à l’étranger, ce qui est le fruit à la fois de l’expertise qui s’est développée à Paris sur ces sujets depuis de nombreuses années et des nombreuses initiatives prises, mais aussi des avancées du cadre législatif et réglementaire français. Le régulateur a un rôle important à jouer pour accompagner et encourager ce développement, en veillant à préserver les conditions de la confiance. L’action de l’AMF en faveur de la finance durable est donc un engagement fort qui se déclinera autour de plusieurs axes :  l’accompagnement et la sensibilisation des acteurs pour faire progresser les bonnes pratiques ;  l’encouragement de l’innovation pour une finance durable ;  la supervision pour s’assurer en particulier de la pertinence des informations données ;  la collaboration avec les autres régulateurs et l’implication dans les travaux européens et internationaux ;  la pédagogie vis-à-vis des épargnants. Commentaires Des commentaires peuvent être adressés à l’adresse email suivante : directiondelacommunication@amf-france.org 2 Législateurs, gouvernements, banquiers centraux, gérants et investisseurs, entreprises ont multiplié les annonces ces derniers mois en faveur de la finance durable. Des engagements ont été pris et des propositions concrètes ont été faites, notamment avec la publication en mars dernier du plan d’action de la Commission européenne pour le financement d’une croissance durable. En France, le projet de loi PACTE affirme la nécessité pour les sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité et définit la notion d’intérêt social de l’entreprise. Le projet de loi définit par ailleurs une mission spécifique pour l’AMF, chargée de veiller à la qualité de l’information fournie par les sociétés de gestion sur leur stratégie et leur gestion des risques face au changement climatique. Qu’en est-il des régulateurs de marché ? Début 2018, l’AMF faisait de la finance durable une de ses huit priorités pour l’année 2018 et un axe structurant de sa vision à 5 ans, #Supervision 2022. Si les thématiques d’investissement socialement responsable (ISR) et de responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSE) des sociétés ont déjà fait l’objet de travaux de l’AMF, la démarche se veut désormais plus large, en « intégrant les objectifs de la finance durable dans l’ensemble des missions et des activités de l’AMF ». er 2010 : 1 rapport de l’AMF sur la responsabilité sociale et environnementale des sociétés er 2015 : 1 rapport de l’AMF sur l’investissement socialement responsable ème 2016 : 3 rapport de l’AMF sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des sociétés ème 2017 : 2 rapport de l’AMF sur l’ISR 2017 : L’AMF s’engage en faveur de la finance durable à l’occasion du Climate Finance Day 2018 : La finance durable est identifiée comme une des huit priorités d’action de l’AMF pour 2018 et un axe structurant de son plan stratégique à 5 ans, #Supervision2022 1. Quelques éléments de contexte sur l’émergence de la finance durable La finance durable est une approche globale visant à renforcer la performance sociale, économique et environnementale de la finance dans la durée. Cela passe par un objectif de stabilité financière et une meilleure prise en compte des externalités sociales et environnementales et des risques et opportunités de long terme. La finance durable prend aussi en considération la contribution du secteur financier à un modèle de développement économique plus durable. L’impulsion politique dans le domaine a été marquée par deux étapes majeures fin 2015 : d’une part, l’adoption par les Nations Unies de l’Agenda 2030 accompagné de 17 objectifs de développement durable (ODD) et, d’autre part, la signature de l’Accord de Paris pour une transition vers une économie bas carbone qui fait référence, pour la première fois, au rôle des services financiers. Au-delà de ces initiatives politiques fortes, plusieurs évolutions ces dernières années ont contribué à changer les perceptions et les pratiques au sein de la sphère financière. Ainsi,  Le risque climatique, à travers les risques physiques, de transition ou de responsabilité (liability), est désormais clairement identifié comme un risque pour le secteur financier et la stabilité financière. Dans le même temps, ce risque paraît encore insuffisamment pris en compte par les marchés et, bien que la proportion augmente rapidement et varie selon les régions, seule une minorité d’investisseurs institutionnels et de gérants le considère aujourd’hui explicitement.  Outre le risque climatique, il existe un consensus grandissant pour reconnaître que les facteurs environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance (ESG) influencent la performance des portefeuilles d’investissement, directement, à travers leur impact sur les résultats des sociétés (liens entre performance extra-financière et financière, possible impact financier des « incidents » ESG), ou indirectement, en raison des risques qu’ils font peser sur la croissance et la stabilité financière. 3  Un nombre croissant d’études montre un lien positif entre la prise en compte des facteurs ESG et la performance à long terme ajustée des risques des portefeuilles (prime de « durabilité »), contrairement à l’idée que celle-ci impliquerait un « abandon de performance ». Les données disponibles tendent aussi à montrer que les stratégies de désinvestissement ou d’exclusion ne conduisent généralement pas à une « pénalité » de performance, en dépit des effets sur la diversification des portefeuilles, même si des déviations en termes de rendement ou de tracking errors peuvent être observées à court terme.  La diversité des stratégies mises en œuvre rend cependant difficile une généralisation : ainsi, les stratégies d’intégration des facteurs ESG et d’investissement responsable varient significativement d’un acteur à l’autre (application de filtres ESG et stratégies « best-in-class » ou « best-in-universe », exclusions, fonds thématiques, stratégies d’engagement, investissements « à impact », etc.). Les approches mises en place et les moyens alloués restent aussi très variés selon les acteurs qui peuvent viser des objectifs très différents (gestion des risques, alignement avec des valeurs éthiques ou sociales, recherche de performance ou d’objectifs (sociaux ou environnementaux) définis, mais aussi gestion du risque de réputation). Philippe Sourlas Les rapports ISR de l’AMF ont permis de mesurer les progrès réalisés par Direction de les gérants ces dernières années en ce qui concerne l’information la gestion d’actifs fournie aux clients, mais aussi d’identifier certains domaines où des progrès restent à faire. Notre travail au quotidien est aussi d’accompagner les sociétés de gestion qui développent de plus en plus de stratégies d’investissement responsable innovantes.  Les investisseurs institutionnels et les gérants sont confrontés à plusieurs obstacles pour prendre en compte les facteurs ESG dans leurs processus d’allocation d’actifs et de gestion des risques. Ces obstacles peuvent être liés à un manque d’expertise, de données disponibles fiables ou d’outils d’analyse, ou encore de consensus interne sur la matérialité des risques et le lien entre ESG et performance au sein des investisseurs.  En dépit des difficultés rencontrées et de la diversité des approches, la tendance est à une adoption plus large des facteurs ESG par les investisseurs institutionnels ; celle-ci se reflète dans l’émergence accrue de thèmes ESG dans les discussions avec les analystes, les présentations des résultats, les assemblées générales et les conseils d’administration. On observe enfin un nombre croissant d’émetteurs publiant des rapports intégrés qui mêlent données financières et extra-financières et dont l’objectif affiché est de mettre en avant la vision et la stratégie à long terme des entreprises. Un certain nombre d’entreprises publient aussi désormais des informations sur leur contribution aux Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Pour les sociétés cotées, intégrer la question de la durabilité passe par une prise de conscience de leur responsabilité sociale, sociétale et environnementale, des attentes vis-à-vis de leur performance extra-financière et de la nécessité de définir une stratégie vis-à-vis de tendances structurelles et d’enjeux de moyen terme comme le changement climatique ou les évolutions de la société. Pour les gérants d’actifs, cela implique une intégration plus large de critères sociaux, environnementaux et de gouvernance dans leur gestion des risques et leurs stratégies d’investissement, ainsi que le développement d’offres de stratégies d’investissement responsable ou « à impact ». Cette évolution répond aussi à des attentes croissantes de la part des investisseurs, institutionnels comme particuliers. Elle va permettre de mettre en place progressivement des outils financiers pour répondre aux enjeux d’avenir, au premier rang desquels la réponse au risque climatique et le financement de la transition énergétique. 4  Le reporting climatique se développe rapidement depuis la publication en juin 2017 des recommandations de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD) mise en place par le Conseil de la stabilité financière, et sous la pression des investisseurs : ces recommandations reprennent des obligations introduites en France en 2015 par l’article 173 de la loi de transition énergétique et pour la croissance verte (LTECV), mais vont plus loin, en encourageant l’utilisation de scénarios (principalement la limitation du réchauffement climatique à 2 degrés) pour évaluer la résilience des stratégies. Un certain nombre d’émetteurs, d’investisseurs et de gérants français se sont déjà engagés à les mettre en œuvre. L’article 173 de la Loi de transition énergétique et pour la croissance verte La loi du 17 août 2015 instaure des obligations d’information pour les gérants et les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques liés au climat, et plus largement l’intégration de paramètres environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leur politique d’investissement, sans imposer de méthode prescriptive. L’article 173 élargit aussi les obligations des entreprises en renforçant les exigences de transparence sur les risques et opportunités liés au changement climatique et les mesures prises pour mettre en œuvre une stratégie bas carbone.  Même si des progrès sont observables, la qualité des données ESG, leur comparabilité et leur vérification constituent des enjeux clé, de même que celles des mesures d’impact. Ces données jouent un rôle important dans les dispositifs de gestion des risques, la sélection des portefeuilles et pour la fabrication d’indices (« bas carbone », « climat », « gouvernance », etc.), selon des méthodologies diverses. Des standards privés se développent par ailleurs rapidement, notamment dans le domaine du reporting climat, des obligations vertes, de l’information extra-financière en général, ou de l’investissement responsable, avec éventuellement des questions sur la gouvernance et les moyens disponibles des entités à l’origine du développement de ces standards. Ils sont complétés par des « coalitions » d’entreprises ou acteurs financiers, chartes ou codes de bonnes pratiques développés au niveau domestique ou international, avec des niveaux d’exigence et d’engagement plus ou moins élevés.  Le consensus grandissant sur la nécessité d’évoluer vers un modèle de finance durable se reflète dans les tendances en termes d’investissement, l’enjeu final restant une réallocation des flux financiers en faveur d’un modèle de développement durable : pour la seule question climatique, la Commission européenne évalue les besoins d’investissement pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris à 170 milliards d’euros annuels. Les chiffres absolus restent cependant encore faibles et les montants exacts sont difficiles à évaluer, notamment en raison des différences de définition : les émissions mondiales d’obligations vertes ont connu une croissance rapide ces dernières années et devraient atteindre, selon les définitions, 200 milliards de dollars en 2018, la France se situant au troisième rang du marché mondial, mais représentent moins de 3% du marché obligataire mondial. Les fonds « verts » enregistrent aussi une croissance rapide en Europe (+50% en 2017, pour un total de 32 milliards d’euros) mais restent marginaux (moins de 0,3% des encours)1. Julien Laroche Le facteur clé de succès du marché des obligations vertes est Direction des certainement la confiance des différentes parties prenantes. émetteurs L'information donnée à l'investisseur sur l'utilisation des fonds est essentielle. Bien que la réglementation ne traite pas spécifiquement de ces enjeux, nous cherchons à accompagner le développement du marché en contribuant à l'émergence de pratiques robustes, devant permettre de répondre aux enjeux de transparence tout en préservant l'agilité suffisante au lancement d'une opération. Le bon fonctionnement de ce marché en construction est de la responsabilité de tous les acteurs.  Les investissements ISR représentent des montants beaucoup plus significatifs mais recouvrent, comme souligné ci-dessus, des réalités très différentes : une enquête récente de l’Association française pour la 1 Novethic, Marché européen des fonds verts, avril 2018. 5 gestion financière (AFG), en collaboration avec le Forum pour l’investissement responsable (FIR), évalue l’encours global d’« investissement responsable » (IR) en France à fin 2017 à 1 081 milliards d’euros (hors stratégies d’exclusion seule), dont 310 milliards d’euros en ISR (principalement best-in-class) et 771 milliards d’euros en autres approches ESG. Les encours des fonds labellisés ISR ont aussi crû rapidement et dépassent aujourd’hui les 46 milliards d’euros, répartis entre 170 fonds et 36 sociétés de gestion.2 Novethic définit par ailleurs l’ISR « de conviction » comme « les fonds ISR commercialisés en France et accessibles à une clientèle de particuliers proposant les portefeuilles les plus impactés par l’évaluation ESG des émetteurs » (principalement approches thématiques et fonds best-in-universe), évalué alors à 38 milliards d’euros à fin juin 2018.  Au-delà de l’augmentation rapide des actifs « ISR » sous gestion, il existe des signes montrant un intérêt croissant des investisseurs particuliers pour des investissements socialement responsables. En France, les chiffres du FIR3 indiquent que 6 Français sur 10 déclarent accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placement. Les labels publics (ISR, TEEC, « Financement participatif pour la croissance verte », entre autres) tentent d’apporter de la lisibilité à la clientèle non professionnelle et de faciliter le développement de l’offre. C’est le sens aussi de plusieurs propositions de la Commission européenne (prise en compte des préférences ESG des clients, développement de labels).  L’innovation financière se développe par ailleurs rapidement. Elle offre des bénéfices en termes de stratégies différenciées d’investissement responsable, de gestion des risques ou de financement, mais elle peut aussi comporter des risques – notamment de commercialisation – liés à la complexité, la transparence, ou les coûts ; certains schémas peuvent aussi soulever des problématiques nouvelles (neutralité carbone, etc.). En outre, sans aborder les domaines des « greentech/cleantech », la « fintech verte » ou « responsable » constitue un autre champ émergent, soit à travers l’application des modèles fintech à des problématiques de finance durable (nouveaux modes de financement de projets durables, intégration de critères ESG dans des services de conseil automatisé, etc.) mais aussi en permettant le développement de nouvelles solutions (meilleure traçabilité des investissements et des impacts à travers des applications fondées sur la blockchain, utilisation d’outils d’intelligence artificielle pour l’analyse des informations ESG, etc.). Obligations des investisseurs et prise en compte des préférences des clients : des propositions en discussion au niveau européen qui vont dans le bon sens Les propositions de la Commission européenne, proches des dispositions de l’article 173 de la Loi française pour la Transition énergétique et la croissance verte, prévoient l’obligation pour les participants de marché de publier leur politique d’intégration des risques ESG dans leur processus d’investissement. Cette obligation nouvelle permettra de renforcer l’information des investisseurs et elle devra être appliquée de manière large, et non pas seulement aux acteurs mettant en avant des stratégies « responsables », tout en prenant en compte les différences de stratégie et de taille. Le deuxième volet des propositions de la Commission européenne vise l’encadrement des investissements durables (« sustainable investments »), avec l’objectif notamment d’éviter le « green washing ». Outre les produits mettant en avant la « contribution » d’un investissement vis-à-vis d’objectifs ESG, comme les propositions actuelles le prévoient, le nouveau cadre européen doit aussi permettre de renforcer la lisibilité de l’ensemble des stratégies « durables » proposées aux investisseurs et devrait donc s’appliquer, du point de vue de l’AMF, aux différents produits commercialisés comme tels. 2 Données du Label ISR à fin octobre 2018. À fin novembre 2018, 22 fonds avaient aussi reçu le label TEEC (« Transition énergétique et écologique pour le climat »). 3 Sondage IFOP pour Vigeo Eiris et le FIR, Les Français et l’investissement responsable, septembre 2018. En dépit de cette forte attente, l’enquête souligne que l’ISR est toujours très peu proposé aux clients particuliers. En revanche, dans le domaine de l’épargne salariale, les données de l’AFG à fin 2017 montrent que les encours des fonds ISR représentent plus du quart de l’épargne salariale (hors actionnariat salarié), ce qui reflète sans doute l’obligation de présenter un fonds solidaire dans la gamme de fonds proposée aux salariés, souvent ISR. 6 Enfin, la prise en compte des préférences des clients vis-à-vis des facteurs ESG envisagée par la Commission européenne est une nouveauté par rapport au cadre français. Elle pose des difficultés sur le plan opérationnel mais elle permet de répondre aux évolutions perceptibles des attentes des clients et constitue un moyen de faire évoluer plus rapidement l’offre de produits financiers « durables ».  Dans ce cadre général en mutation rapide, la place financière de Paris, regroupée autour de Finance for tomorrow, bénéficie d’atouts reconnus : engagement des pouvoirs publics et des autorités, expertise dans le domaine extra-financier, acteurs importants (arrangeurs, gérants, émetteurs, agences et prestataires, etc.), recherche académique, labels, etc. Elle profite en outre du cadre législatif et réglementaire plus avancé que dans le reste de l’Europe. 2. Un rôle pour le régulateur Du point de vue des régulateurs de marché, le sujet de la finance durable pose de nouveaux défis. En particulier, les nombreuses thématiques environnementales, sociales, sociétales et de gouvernance mobilisent des expertises spécifiques et une compréhension des enjeux globaux (transition énergétique, mais aussi évolutions sociétales par exemple). Malgré les appels de certains 4, peu de régulateurs ont encore investi le domaine mais commencent aujourd’hui à se mobiliser au niveau européen comme international. L’AMF a fait de la finance durable un axe structurant de sa vision à 5 ans, reconnaissant ainsi la tendance de fond à l’œuvre dans l’industrie aussi bien que les attentes d’un nombre croissant de parties prenantes. Des travaux avaient déjà été publiés, donnant lieu à un certain nombre de recommandations du régulateur vis-à-vis des sociétés cotées et des gérants d’actifs ainsi que des émetteurs d’obligations vertes. Il s’agissait principalement d’encadrer la transparence de l’information fournie et d’identifier les bonnes pratiques. L’expertise était restée cependant cloisonnée à un petit nombre de personnes et la mesure des enjeux et impacts encore limitée. Les lignes directrices pour la feuille de route de l’AMF partent des constats suivants :  La finance durable entre dans un moment charnière de développement, avec des enjeux financiers et non- financiers considérables. Il s’agit aussi d’un axe de compétitivité fort pour la Place de Paris qui a des atouts reconnus dans le domaine.  Le régulateur a un rôle important à jouer dans ce développement, à la fois pour protéger et accompagner, et préserver les conditions de la confiance ; ce rôle doit être explicité et mis en avant.  Le régulateur doit lui-même évoluer pour intégrer cette nouvelle dimension dans sa pratique de régulation et son appréhension du marché.  Dans le même temps, face à la diversité des problématiques ESG (climat, biodiversité, eau, pollution, droits humains, conditions de travail, santé, etc.), le champ de compétences et les outils du régulateur limiteront par nature son intervention, par exemple en ce qui concerne l’appréciation du caractère « vert » ou « durable » d’une activité. 4 Voir les conclusions du groupe d’experts de haut niveau (HLEG) européen sur la finance durable ou les demandes de certaines ONG notamment. 7 Les travaux au sein de l’ESMA Sur les 10 initiatives proposées par la Commission européenne dans son Plan d’action pour la finance durable, 8 ont un impact direct sur le fonctionnement des marchés et les acteurs régulés par l’AMF. Dans ce cadre, la Commission a mandaté des travaux au sein de l’ESMA qui portent notamment sur l’intégration des critères ESG dans les décisions d’investissement, la gestion des risques et le conseil. Un avis technique de l’ESMA est attendu sur ces sujets pour le 30 avril 2019, en coordination avec l’EIOPA. Au sein du Corporate Reporting Standing Committee (CRSC) de l’ESMA, le Narrative Disclosure Working Group traite du sujet de l’information extra- financière avec comme objectif de développer des approches communes de supervision en Europe. D’autres travaux mandatés par la Commission européenne porteront sur la prise en compte des facteurs ESG par les agences de notation, les indices bas carbone, la recherche extra-financière et la notation ESG ou encore l’impact des rotations des portefeuilles. 3. Feuille de route AMF Les éléments présentés ci-dessus soulignent la nature complexe et transverse du sujet de la finance durable. La réponse du régulateur doit ainsi reposer sur plusieurs piliers. Intégrer les objectifs de la finance durable dans les missions et les activités du régulateur : cinq domaines d’action pour faciliter les transformations et préserver les conditions de la confiance :  L’accompagnement des acteurs et de l’innovation  La supervision et la veille  La participation aux travaux européens et la collaboration avec les autres régulateurs  La pédagogie vis-à-vis des épargnants  Le développement de l’expertise interne et la gouvernance L’action de l’AMF est coordonnée de manière transversale par une Task Force Finance durable chargée de mettre en œuvre la feuille de route.  L’accompagnement des acteurs et de l’innovation Si l’industrie se structure vite, de nombreux acteurs sont encore très peu avancés dans leurs pratiques ESG. L’objectif du régulateur sera d’accompagner les évolutions et de sensibiliser largement, à travers l’organisation d’ateliers, le partage de bonnes pratiques et la publication de guides ou de recommandations, sans dupliquer ou préempter un travail qui peut être fait par des associations de place ou des forums internationaux. Une première série de workshops organisée fin octobre 2018 a ainsi permis d’échanger sur la réalité des pratiques en matière d’intégration des facteurs ESG chez les gérants et les investisseurs institutionnels, les difficultés rencontrées et les perspectives d’évolution. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, il s’agira aussi pour l’AMF d’expliciter ses attentes vis-à-vis des acteurs, comme elle a pu le faire dans le passé avec les rapports ISR et RSE et pour les émetteurs d’obligations vertes, ou, plus récemment, pour la commercialisation de produits structurés indexés sur des thématiques ESG. Des évolutions telles que la prise en compte des préférences ESG des clients dans le conseil et l’intégration des facteurs ESG auront par ailleurs des conséquences opérationnelles importantes pour les acteurs financiers. Il s’agira pour l’AMF d’accompagner ces changements pour faciliter la transition. Des actions dans le domaine de la formation et de la certification professionnelle par exemple pourront venir soutenir les efforts de l’industrie. Un deuxième volet porte sur l’accompagnement de l’innovation, en lien avec l’équipe FinTech-Innovation- Compétitivité de l’AMF. Comme dans le domaine des fintech, l’objectif est de faciliter le développement de solutions nouvelles en matière de finance durable, d’identifier les problématiques posées et les risques possibles, ainsi que les obstacles éventuels qui pourraient être supprimés ou les lignes directrices à fixer. 8  La supervision et la veille La supervision est un élément important de notre action en faveur de la finance durable. Elle prend plusieurs formes : suivi des sociétés cotées et des prestataires de services d’investissement, missions de contrôle sur place, veille des campagnes commerciales et suivi de la commercialisation. En 2018, deux actions principales ont été menées dans le suivi des sociétés cotées : d’une part, une attention portée aux informations extra-financières fournies par les sociétés cotées à l’occasion de la revue annuelle des documents de référence, d’autre part, une analyse des tendances récentes en matière de publication de rapports intégrés par les émetteurs. 2018 constitue par ailleurs une année de transition avec l’entrée en application en France de la Directive sur l’information extra-financière. Une nouvelle édition du rapport RSE de l’AMF viendra actualiser les constats qui avaient été faits en 2016 à partir de la revue des nouvelles déclarations de performance extra-financière (DPEF) élaborées par les sociétés. Des études thématiques, par exemple sur le reporting climatique, seront prévues au fil du temps. Charles Descamps L’AMF accompagne et guide les émetteurs à travers la revue Direction des périodique des informations publiées. Notre but : la production d’une émetteurs information lisible, comparable, et donc exploitable par les investisseurs, faisant ressortir les enjeux extra-financiers de façon pertinente. Deux préoccupations : plus d’intégration des enjeux RSE dans la présentation des activités et de la stratégie de l’entreprise, et une approche équilibrée des sujets. Dans le domaine de la gestion d’actifs, l’AMF a engagé un certain nombre d’actions pour faire suite aux conclusions du rapport ISR publié fin 2017. Il s’agissait notamment de rappeler aux sociétés de gestion leurs exigences d’information définies notamment par l’article 173 de la Loi pour la transition énergétique et la croissance verte, et leur demander de communiquer les reportings exigés par les textes. De nouveaux éléments collectés ont ainsi permis de mettre à jour les informations présentées dans le rapport 2017 et serviront au bilan d’évaluation préparé par la Direction générale du Trésor et le Commissariat général du développement durable. Une série de contrôles thématiques courts (« SPOT ») a aussi été lancée sur la gestion ISR pour évaluer la réalité des pratiques décrites par les sociétés de gestion, identifier des bonnes et des mauvaises pratiques et alimenter ainsi le rapport ISR 2019. Un axe important de supervision portera enfin sur le suivi de la commercialisation sur les thématiques d’investissement vert et responsable, à travers les outils de veille de l’AMF (notamment de la publicité). Sophia Bennani Nos contrôles sur la gestion ISR vérifient la cohérence entre le Direction des dispositif mis en place par les sociétés de gestion et l’information contrôles fournie aux investisseurs. Plusieurs domaines sont évalués : l’organisation, le processus d’investissement, les données, les procédures ou encore les politiques d’engagement. Cela nous permet d’appréhender la diversité des approches adoptées et d’identifier des bonnes pratiques. 9  La participation aux travaux européens et la collaboration avec les autres régulateurs Les initiatives qui découlent du Plan d’action de la Commission européenne pourront introduire des modifications dans de nombreux textes régissant les acteurs régulés par l’AMF (MIF, OPCVM, AIFMD, Indices, Prospectus, PRIIPS, etc.). Quelle que soit l’issue des discussions en cours, les travaux se poursuivront en 2019 dans plusieurs domaines qui nécessiteront l’implication de l’AMF (travaux ESMA), ou, au minimum, un suivi (par exemple, les travaux menés au sein du European Corporate Lab mis en place par l’EFRAG ou au sein du Technical Expert Group (TEG) créé par la Commission européenne). La coopération avec les autres régulateurs est aussi un axe important pour partager l’expérience française, réfléchir conjointement au rôle du régulateur, au cadre réglementaire adapté et aux approches vis-à-vis de l’innovation ou en termes de supervision qui peuvent être développées. Outre les échanges avec nos homologues en Europe, l’AMF participera au réseau informel des régulateurs créé récemment au niveau international au sein de l’OICV. Enfin, le travail avec la Banque de France et l’ACPR est indispensable, que ce soit dans le cadre du Pôle commun AMF-ACPR pour la protection des épargnants, mais aussi pour les actions menées dans le domaine du reporting du secteur financier et les travaux macro-prudentiels à venir (stress tests climatiques par exemple).  La pédagogie vis-à-vis des épargnants La finance durable présente un enjeu spécifique pour les investisseurs particuliers, à la fois en raison du développement d’une offre nouvelle de produits et de l’émergence de convictions de la part, d’une partie au moins, des épargnants. Plusieurs questions se posent de leur point de vue pour comprendre les informations reçues, choisir leurs investissements en étant certain, si c’est ce qui est souhaité, de l’impact et du financement réel d’un verdissement de l’économie ou d’activités et de pratiques durables, et d’appréhender les impacts éventuels en termes de performance ou de risques. Des brochures sur la finance solidaire et les fonds ISR ont déjà été élaborées en 2016/2017 ; une vidéo grand public sur la finance durable sera aussi diffusée à la télévision en fin d’année en partenariat avec l’Institut National de la Consommation. De nouveaux contenus spécifiques seront conçus par l’AMF, en collaboration, le cas échéant, avec ses partenaires comme l’Institut pour l'Education Financière du Public (IEFP), pour faciliter la compréhension de certains vocables (investissement à impact, best-in-class, fonds bas carbone, fonds thématiques, etc.).  Le développement de l’expertise interne et la gouvernance Intégrer les objectifs de la finance durable dans les missions et les activités de l’AMF nécessite deux engagements : d’une part, former ou acquérir les compétences nécessaires et consolider l’approche transversale mise en place au sein de l’AMF ; d’autre part, impliquer le comité exécutif et le Collège de l’AMF sur cet enjeu d’avenir. Julie Ansidei Un modèle financier plus durable nécessite de mobiliser Direction de la régulation différents leviers et de travailler ensemble. La création d’une et des affaires internationales unité Stratégie et finance durable au sein de l’AMF, chargée de coordonner les différentes initiatives et de mettre en œuvre la feuille de route, est le signe de l’engagement du régulateur en faveur de la finance durable. 10 Plusieurs initiatives ont déjà été prises en 2018 pour sensibiliser l’ensemble des équipes, assurer le partage des connaissances et développer les échanges avec des experts externes. Ces efforts seront poursuivis et l’organisation est désormais formalisée avec la création d’une unité « Stratégie et Finance durable » et le lancement d’une Task Force Finance Durable responsable de la mise en œuvre de la feuille de route de l’AMF. Des profils RSE ou ISR pourront être privilégiés au moment des recrutements de manière à intégrer dans les équipes des expériences « de terrain » des problématiques ESG. Dans les instances consultatives de l’AMF (commissions consultatives, conseil scientifique), il sera notamment nécessaire de considérer les moyens d’élargir la participation de représentants avec des expertises pertinentes dans le domaine de la finance durable et d’assurer des échanges réguliers. Enfin, l’engagement de l’AMF se traduit par une implication de son Collège et de son Comité exécutif sur ces sujets. Il s’accompagnera de la formalisation de la politique RSE de l’AMF. 11